Sur cette page, nous racontons l’histoire de ‘Lisons aux nourrissons’. Si vous souhaitez visionner en replay certaines des interventions publiques qui évoquent le programme, ou lire des articles qui lui sont consacrés, c’est par là.

*

Le projet ‘Lisons aux nourrissons » est né d’une rencontre entre Laurence Lambert, orthophoniste du service de néonatologie du CHRU de Tours, et Cécile Boulaire, universitaire et membre du Conseil d’administration de Livre Passerelle, intervenant depuis 2012 auprès des étudiants de médecine et depuis 2016 dans la formation des étudiants en orthophonie.

Au moment de cette rencontre, le service de néonatologie du CHRU de Tours vient de s’installer, en 2018, dans un bâtiment neuf, accueillant des bébés de toute la région Centre autour de pathologies très sérieuses, notamment la grande prématurité. D’une haute technicité, il a été pensé pour favoriser le lien parents-enfants autour de chambres individuelles permettant aux parents de vivre l’hospitalisation de leur enfant à ses côtés. Les équipes soignantes déplorent pourtant un faible taux de présence des parents. En cause des difficultés matérielles bien sûr, mais aussi la lourdeur anxiogène du dispositif médical, qui semble empêcher certains parents de trouver leur place auprès de leur bébé. Effrayés par les problèmes médicaux de leur enfant, « infériorisés » par la complexité des soins qui leur sont apportés, sidérés par l’angoisse, ces parents ne trouvent pas les mots pour s’adresser à leur nouveau-né confié aux machines et aux professionnels expérimentés. Or, les bébés ont tout autant besoin de ces soins techniques que du lien d’attachement qui les relie au monde dans lequel ils viennent de naître, et surtout à ceux qui leur ont donné la vie.

Une chambre « familial » du tout nouveau service de néonatologie, photographiée en 2018 par la Nouvelle République à l’occasion de l’ouverture.

Cécile Boulaire fait découvrir l’action de l’association Livre passerelle à Laurence Lambert et, autour de cette rencontre, naît l’idée que des lecture à voix haute d’albums pour enfants pourraient peut-être aider les familles à s’extraire de cette sidération.

Pourquoi perdre son temps à raconter des histoires ?

Les partenaires de ce projet naissant sont convaincues de la puissance de la parole structurée et poétique échangée autour du nourrisson. Depuis 25 ans, les lectrices de l’association Livre passerelle lisent à voix haute aux bébés, aux enfants, aux adultes. Elles lisent en salle d’attente de PMI, en bibliothèque de rue ou ailleurs dans l’espace public, avec toujours le même constat : l’album et sa lecture à voix haute relient. Les lectures partagées à voix haute permettent aux émotions d’affleurer, à la tendresse, à la peur et à l’espoir de s’exprimer. Le projet se construit, prend du retard au moment du covid, puis s’installe.

En néonatologie, bien souvent, c’est aux parents seuls que les lectrices lisent, pendant que le bébé dort. L’objectif est que les parents prennent plaisir à entendre des histoires, pour avoir le désir de les partager ensuite avec leur bébé. Les parents témoignent : « Je suis touché, car on ne m’a jamais raconté d’histoire quand j’étais petit », ou encore « Je suis retombé en enfance, ça m’a fait un bien fou ! » Grâce aux lectures, les parents se remémorent l’enfant qu’ils ont été ou qu’ils n’ont pas pu être, processus indispensable à la parentalité. 

La lecture à voix haute offre également aux parents l’occasion d’observer les réactions de leur bébé, d’entrer en contact avec lui autrement. Bien sûr, les lectrices espèrent qu’à leur tour, ils s’emparent des ces albums pour leur bébé, et que ces paroles « empruntées » aux auteurs de ces livres ouvriront la voie à des paroles plus personnelles, naturelles, intimes, adressées directement à leur enfant. Le tout permettant de contribuer à ce qu’on appelle les « soins de développement » offerts au bébé.

Bien évidemment, l’effet voulu n’est pas toujours atteint dès la première rencontre. Dans certaines situations, cela va demander du temps. D’où la nécessité de la régularité de l’action et l’indispensable travail de collaboration avec les soignants, cadres et professionnelles transversales du service.

Ajuster le projet

Une telle action de lecture à voix haute dans un service hospitalier peut paraître incongrue aux yeux des soignants. Au départ, en 2021, les lectrices ont dû se faire adopter par l’équipe. En plein Covid, impossible de les réunir pour les informer du démarrage de l’action.

‘Lisons aux nourrissons’ a alors opté pour la communication visuelle, en déclinant partout le visuel de Chiaki Miyamoto, une illustratrice passée par la résidence de Livre passerelle à Tours en 2019. Cela peut paraître anecdotique mais ce fut essentiel. Kakemono, affiches, badges ont permis aux lectrices de s’annoncer aussi bien auprès des parents que des soignants. Les lectrices ont été autorisées à placer leurs grands kakemono dans les couloirs, avant même l’entrée dans le service et le flot d’informations qu’il contient. Tout cela a permis de ne pas prendre le personnel par surprise – mais il fallait ensuite apprivoiser les lieux et les professionnelles.

Avec délicatesse et beaucoup de sourires, en essayant de ne jamais s’imposer et en respectant le rythme de travail des soignants, les lectrices répètent leurs intentions et les objectifs du projet. Elles s’efforcent aussi de toujours prendre le temps nécessaire pour se présenter et expliquer les enjeux de leur action, à chaque séance et avec chaque soignant, qui dans l’ascenseur, qui dans le couloir, etc.

Il leur fallait aussi donner à voir.

Dans les couloirs du service, elles ont parfois offert leurs histoires aux équipes soignantes, pour qu’eux aussi éprouvent le plaisir de cette littérature. Peu à peu, semaine après semaine, mois après mois, et avec l’aide d’abord de l’orthophoniste et de la psychomotricienne, auxiliaires, puéricultrices, pédiatres, cadres, psychologues, agents de services hospitaliers ont plongé dans les histoires et ont saisi l’intérêt de ‘Lisons aux nourrissons’.

Un médecin témoigne :

« En tant que pédiatre, on n’assiste pas toujours aux lectures dans les chambres mais on voit ce qui se passe autour. Les parents en parlent, attendent les lectrices. Nous, on les cherche dans les couloirs pour tel ou tel enfant. Maintenant, ça nous paraît logique de faire appel à elles. Si elles pouvaient être là tous les jours, ce serait bien ! » Et de conclure : « En plus, les lectures soignent les soignants, qui soignent les patients ».

C’est donc ensemble, en tricotant séance après séance, que ‘Lisons aux nourrissons’ a trouvé son « protocole », ses façons d’intervenir, ses modes de communications au sein du service, dans un ajustement permanent. Peu à peu, les lectrices ont pris leurs marques, elles se sont habituées au fonctionnement bien particulier de ce service hospitalier. Les retours enthousiastes des parents les ont encouragées. Et l’équipe médicale a pu constater les effets positifs de l’action, comme dans cet exemple, extrait du « journal de bord » tenu par les lectrices :

« On nous conduit dans la chambre d’une petite fille dont les parents ne peuvent venir que le weekend. Les lectures se passent très bien. La petite fille écoute puis s’endort. La semaine suivante, on nous dit qu’elle va mal, qu’elle n’arrive pas à se réveiller. Nous décidons ensemble, avec la soignante qui s’occupe d’elle, de tenter une lecture. Dès la première page, elle ouvre les yeux en grand, se tourne vers la lectrice, puis vers l’album. La lectrice lit une 2e histoire, une 3e. A la fin du 4e livre, l’enfant tourne la tête et s’endort. En sortant de la chambre, l’infirmière dit clairement qu’elle n’en revient pas : que toute la matinée, elle a essayé d’avoir des interactions avec la petite fille, sans succès. Elle paraissait vraiment mal, or avec les lectures, elle s’est totalement éveillée. La semaine suivante, nous croisons cette soignante dans le service et elle nous parle d’un petit garçon dont la maman est présente et nous demande si nous pouvons aller les voir… « 

Après 3 ans de lectures hebdomadaires dans le service, les lectrices constatent que la pratique du livre et de la lecture est devenue un élément stable de la culture du service, accepté et attendu. Il est aujourd’hui fréquent que les soignantes rapportent aux lectrices avoir lu pendant la semaine aux bébés. D’autres sont allées jusqu’à se prendre en photo en train de lire à un bébé, pour rappeler à leurs collègues que ce bébé appréciait les histoires au moment du coucher: la photo était punaisée au tableau de la chambre, avec le protocole de soin personnalisés de l’enfant; sous le titre « Petites recommandations pour soutenir X dans son développement et son éveil ». Il y était noté, entre autres, cette phrase : « solliciter les lectrices de Lisons aux nourrissons le mercredi matin afin qu’elles puissent prendre un temps avec lui ». Preuve que le projet avait bien intégré la culture du service…

En pratique

Concrètement, les lectrices sont au nombre de trois : l’une, bibliothécaire, qui intervient deux matinées par mois dans l’unité kangourou (6 lits), et deux autres qui viennent chaque semaine passer une matinée en réanimation, soins intensifs et soins continus (37 lits).

Chaque semaine, à leur arrivée à l’hôpital, elles se rendent dans le bureau de l’orthophoniste et de la diététicienne, là où sont rangés livres et chariots.

Photographie Marie Pétry©

Le temps de mettre leurs surblouses, leurs badges et de choisir les livres qu’elles vont emporter pour la séance, elles font également le point, échangent des informations sur les arrivées, les sorties, les présence de parents, etc. Puis elles se répartissent dans les différents services. Elles ont pris l’habitude d’installer leur chariot de livre dans le couloir, auprès de l’îlot central des soignantes. Avec celles qui sont présentes, on évalue dans quelles chambres il est propice de se rendre, ou non. Puis, elles ont pris l’habitude de faire un premier repérage en passant devant les chambres : y a-t-il des enfants seuls ? dans les chambres où les parents sont présents, y a-t-il un soin en cours, les parents semblent-ils disponibles ? Dès qu’une ouverture semble possible auprès d’un bébé, elles se munissent de 3 ou 4 albums (le chariot, lui, reste dans le couloir) ainsi que d’une carte-souvenir.

Pour une première rencontre, elles ont chacune leurs albums préférés. Lorsqu’elles retournent lire auprès de familles déjà rencontrées les semaines précédentes, elles adaptent leur choix aux réactions déjà observées auprès de ces bébés, de ces parents. L’entrée dans les chambres se fait de but en blanc, d’une façon qui leur a d’abord semblé un peu brusque : lorsque l’ouverture de la porte coulissante est activée, celle-ci s’ouvre en grand, sans laisser la possibilité de s’annoncer ou de demander la permission d’entrer. Les lectrices sont alors projetées dans un univers intime, et elles prennent alors quelques minutes sur le seuil pour se présenter, expliquer le projet et exposer leur proposition. L’enthousiasme est parfois au rendez-vous : « ah oui, bonne idée »,  « j’avais vu les affiches ! » ou parfois même « j’attendais votre passage » ! Leur démarche semble alors toute naturelle. D’autres fois au contraire, elles peuvent sentir la perplexité, voire la réticence ou la gêne des parents. Elles rencontrent également des parents fatigués, éprouvés. Elles cherchent alors à dissiper les appréhensions, à expliquer les fondements de cette démarche et le plaisir, l’apaisement que les parents et l’enfant peuvent y trouver. Malgré tout, il arrive bien sûr qu’elles ne lisent pas. Elles tentent de rendre leur proposition de lecture « irrésistible » mais elle reste toujours une proposition ouverte : les parents peuvent l’accepter, ou la décliner. Il est important que, dans ce service, les lectrices restent celles à qui les parents peuvent dire non !

À la fin de la rencontre, les lectrices proposent aux parents de garder les albums pendant la semaine, pour les partager avec leur bébé. Elles laissent aussi une carte-souvenir qui mentionne les titres lus.

Les lectrices rencontrent les familles entre 1 et 8 fois au cours de l’hospitalisation de leur bébé. Pour certaines d’entre elles, c’est un véritable rendez-vous, très attendu, qui rythme les semaines, dans ces circonstances particulièrement éprouvantes.

Protocole d’hygiène des albums

Dès le départ, il était entendu que, pour des questions d’hygiène, les livres devaient être neufs et ne pas sortir du service. Un premier lot d’une centaine de livres a été acheté par la bibliothèque municipale, et mis à la disposition du service pour une longue durée. Un second lot a été acheté grâce au fonds de dotation de l’hôpital, qui recueille des dons et actions de mécénat.

Rapidement, l’équipe soignante s’est interrogée sur deux cas spécifiques. On redoutait que les livres, circulant dans le service, puissent apporter un germe, malgré le protocole d’hygiène, dans les chambres de bébés particulièrement fragile,s notamment ceux qui portaient un cathéter. D’autre part, certains bébés sont mis temporairement à l’isolement, parce qu’on a relevé une contamination : dans ce cas, les objets qui sortent de cette chambre doivent faire l’objet d’un traitement spécifique, et il paraissait compliqué de leur prêter des livres. Il a donc été décidé que ces bébés, qui devaient pouvoir eux aussi bénéficier des lectures, se verraient offrir un livre, tout neuf, qu’ils pourraient garder et emporter avec eux à la fin de leur hospitalisation. La première année, ce cadeau a été rendu possible grâce à la Direction départementale du livre et de la lecture publique (Conseil départemental d’Indre-et-Loire, opération Premières pages). La 2e année, c’est l’association Koala qui a fait un don à l’association Livre passerelle pour pérenniser ce geste.